domenica 2 dicembre 2012

La chasse spirituelle


La chasse spirituelle, manuscrit reproduit en quatrième de couverture de l'édition Léo Scheer.

Mais qui est l'auteur du faux Rimbaud? 
Jérôme Dupuis

"L'Express", 27 novembre 2012

C'est sans doute le plus célèbre faux de la littérature française. En 1949 parait dans les colonnes de Combat un long poème attribué à l'auteur d'Une Saison en enfer. Vrai scoop ? Supercherie? Le milieu littéraire va férocement s'écharper pendant des mois. Le grand rimbaldien Jean-Jacques Lefrère, qui a bien connu plusieurs protagonistes de l'affaire, en révèle les dessous dans une passionnante enquête. Entretien.
La Chasse spirituelle, un inédit de huit pages d'Arthur Rimbaud, surgit spectaculairement un beau jour de 1949 dans Combat, qui constelle les kiosques de Paris d'affichettes révélant son scoop. Que savait-on de ce poème jusqu'alors?
On n'en connaissait guère que le titre. Il s'agissait d'un manuscrit en prose, confié par Rimbaud à Verlaine, lequel l'avait laissé au domicile conjugal lorsqu'il avait quitté brusquement la France, en 1872, pour suivre son ami, dans l'équipée qui allait conduire les deux compagnons d'enfer à Bruxelles, avec la fin brutale et tragique que l'on sait. Verlaine, par la suite, tentera de rentrer en possession de divers effets personnels et manuscrits laissés dans le foyer abandonné, dont plusieurs écrits de Rimbaud, mais sans résultat : La Chasse spirituelle resta dans sa belle-famille, comme les autres écrits de Rimbaud, comme ce poème magnifique, intituléFamille maudite, que l'on a retrouvé il y a quelques années, en provenance presque directe de la belle-famille de Verlaine. Plus tard, alors que Rimbaud était parti pour d'autres horizons, Verlaine montrera une constance remarquable, durant plusieurs années, pour remettre la main sur, je cite, ce "manuscrit dont le titre nous échappe et qui contenait d'é­tranges mysticités et les plus ai­gus aperçus psychologiques".
En même temps que Combat, Le Mercure de France publie l'intégralité de cette Chasse spirituelle sous forme de livre. Est-ce du "bon", du grand Rimbaud?
Le texte a beaucoup déconcerté à sa parution, et il y avait sans doute de quoi. Il rappelait tout à fait, par son ton, bien des passages d'Une saison en enfer. D'un autre côté, j'ai quelque difficulté à concevoir ce que peut être du "bon" Rimbaud, ce qui implique qu'il en est du mauvais. Il est clair que si l'on publiait aujourd'hui Un coeur sous une soutane ou les pièces de l'Album zutique, sans reproduire leur manuscrit en fac-similé, nombre de gens crieraient au faux en clamant que c'est trop "mauvais" pour être du poète de Bateau ivre.
A peine La Chasse spirituelle parue, un homme et une femme prétendent en être les auteurs. Qui sont-ils ? Et pourquoi auraient-ils commis ce faux Rimbaud?
Ils s'appellent Nicolas Bataille et Akakia Viala (un pseudonyme, dont le prénom signifie en grec "sans malice"). Le premier a été figurant dans Les Enfants du Paradis et sera plus tard le metteur en scène de la Cantatrice chauve au théâtre de la Huchette ; la seconde est bibliothécaire à l'Idhec (Institut des hautes études cinématographiques). Ils ont porté sur les planches, l'année précédente, Une saison en enfer, et la critique n'a pas toujours été tendre pour leur initiative. Aragon, notamment, a fustigé leur mise en scène... sans même être allé voir la pièce ! Nicolas Bataille et Akakia Viala prétendront que, pour se venger, entre autres d'Aragon, ils ont composé un faux Rimbaud, en le coiffant du titre de cette oeuvre perdue, La Chasse spirituelle. Pour habiller leur geste, ils expliqueront qu'un vieux collectionneur les a contactés à l'issue d'une représentation et leur a montré le fameux manuscrit.

Comment parviennent-ils à piéger des spécialistes de Rimbaud?
Via un libraire auquel Bataille et Viala l'ont glissé, de grands connaisseurs du poète, Maurice Saillet, Maurice Nadeau et Pascal Pia, ont entre les mains ce texte. Ils ne croient pas du tout à leur version. Ils viennent de publier des passages de La Chasse dansCombat et la totalité du texte en volume. Pascal Pia révèle qu'il a eu connaissance, il y a longtemps, de la vente du manuscrit de La Chasse spirituelle par un libraire. Les protagonistes sont en place, la bataille Rimbaud va commencer. Est-elle terminée ? Les jours prochains le diront.
Alors que Mauriac fut à deux doigts de publier dans Le Figaro un article s'extasiant sur cette Chasse spirituelle, un homme, et non des moindres, André Breton, prétendra, le jour même de la sortie de Combat, à partir d'une simple analyse littéraire du texte, que le poème de Rimbaud est un "faux". Soixante ans après, on ne peut que saluer sa clairvoyance. Pourtant, on vous sent un peu réservé sur sa réaction. Pourquoi?
Loin de moi l'idée de desservir le rôle de Breton dans la circonstance. Mais les choses ne se sont pas passées comme la postérité les a rapportées. On a parlé de la clairvoyance d'un grand poète pour juger l'oeuvre d'un autre grand poète. L'explication n'est pas fausse, mais elle est incomplète, car elle fait abstraction de ceci: Breton avait déjà eu à débattre sur des attributions de textes à Rimbaud et connaissait parfaitement le contexte biographique et historique du poète, et surtout il avait été prévenu par deux libraires que le texte qu'allait publier le Mercure de France n'avait pas la garantie d'authenticité que peut conférer la découverte d'un manuscrit autographe. Qui plus est, le nom de Pascal Pia, qui l'avait déjà piégé avec un faux poème d'Apollinaire, ne pouvait que le conforter dans ses soupçons. Il n'empêche qu'il faut reconnaître la fermeté et le courage de sa lettre dénonçant le faux: si le Mercure de France avait répliqué en exhibant un manuscrit, Breton aurait perdu la face.
Les deux auteurs du faux, Bataille et Viala, ne pensaient pas que leur canular prendrait les dimensions d'une polémique nationale. Ils organisent une incroyable conférence de presse pour s'expliquer, chez Lipp, mais, étrangement, ne parviennent pas à prouver qu'ils sont bien les auteurs de cette Chasse spirituelle. Pourquoi?
En effet, leur explication n'a pas convaincu tout le monde. Ils ont eu beau présenter des notes de travail, des pages de brouillon, on leur a rétorqué qu'ils auraient très bien pu les fabriquer après coup. En réalité, il faut se replacer dans le contexte de l'année 1949. On vivait à l'heure de Rimbaud: découvertes et publications se multipliaient. La publication de La Chasse spirituelle a eu un écho immense, car elle répondait parfaitement à une attente: l'espoir de retrouver ce texte mythique. Et voilà que deux comédiens inconnus annoncent qu'ils en sont les véritables auteurs, qu'ils ont monté un canular. Ceux qui ont donné foi au texte prétendent que c'est la revendication de la paternité de ce texte qui est en réalité une mystification! Ajoutez-y les désirs de règlements de compte entre surréalistes et critiques et les oppositions politiques entre journaux qui s'emparent de l'affaire (Le Figaro contre Combat)...
Vous avez été proche du grand critique Pascal Pia (1903-1979), dont vous avez d'ailleurs récemment préfacé les Chroniques littéraires (Editions du Lérot), ainsi que de Maurice Nadeau, aujourd'hui âgé de 101 ans. N'ont-ils pas été imprudents en publiant un texte dont ils n'avaient jamais vu le manuscrit?
Il est incontestable qu'ils n'avaient pas vu le manuscrit, mais Pia avait appris la survie et donc l'existence d'un manuscrit de La Chasse spirituelle. Tous deux ont fait confiance à Maurice Saillet, dont ils tenaient le texte et qui n'était pas le premier venu en matière d'histoire littéraire. Il est évident que l'objectif de Pia, avec la publication de ce texte, était de débusquer le manuscrit, en espérant que son détenteur se manifesterait, ne serait-ce que pour dire que le texte publié n'était pas conforme au manuscrit. Le problème est qu'aucun collectionneur ne s'est fait connaître en 1949.
Breton ira jusqu'à consacrer un pamphlet entier à l'affaire, Flagrant délit, ne ménageant pas Pia, Saillet et Nadeau. Ce dernier dira, plus tard avoir traîné cet épisode comme une "casserole". Ces trois hommes ont-ils été durablement marqués par cette polémique?
Ce que je puis dire, c'est que les protagonistes de La Chasse spirituelle avec lesquels les hasards de la vie m'ont mis en relation ne m'ont pas donné l'impression d'être sortis indemnes du combat. Il faut dire que la polémique de 1949 a été très violente, et qu'elle survenait sur un fond de grande tension entre Breton et ces trois grands critiques, qui ne l'avaient vraiment pas ménagé. Saillet et Nadeau, surtout, avaient fait montre, dans leurs articles sur Breton, d'une ironie que ce dernier ne pouvait tolérer. Pour Breton, cette occasion d'une revanche était trop belle.
Vous publiez un étrange fac-similé du manuscrit du poème en quatrième de couverture de votre livre. De quoi s'agit-il exactement?
Comme vous, je constate que la quatrième de couverture du volume reproduit un fac-similé du manuscrit de La Chasse spirituelle. Ce manuscrit fameux aurait donc survécu?

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